Où se trouve Le château du Grand Meaulnes ?

Le domaine mystérieux dans Le Grand Meaulnes n’est pas un lieu géographique réel mais plutôt un espace imaginaire et symbolique. Ce lieu enchanteur représente un monde hors du temps, un mélange de réalité et de rêve où se déroule la fête extraordinaire qui a tant hanté Augustin Meaulnes

Depuis plus de cent ans, d’innombrables lecteurs ont tenté de retrouver « la tourelle grise » du « vieux manoir abandonné » que le Grand Meaulnes avait aperçue « au-dessus d’un bois de sapins », celle du « Domaine mystérieux », où avait eu lieu « la Fête étrange » et « la Rencontre » du héros avec Mademoiselle Yvonne de Galais.

Le domaine mystérieux du Grand Meaulnes imaginé par Chatgpt ( décembre 2024)

Le domaine mystérieux du Grand Meaulnes imaginé par Chatgpt ( décembre 2024)

Louable entreprise certes, puisque Le Grand Meaulnes est tout entier une invitation au voyage, « à la recherche du sentier perdu » et puisque, d’autre part, comme Alain-Fournier l’écrivait à son ami André Lhote en 1911 « tout ce qu’(il) raconte se passe quelque part ». Il est bien vrai que cet itinéraire imaginaire est profondément inscrit dans les paysages du Boischaut comme dans les forêts et les brandes de Sologne. C’est toutefois une gageure, tant le romancier a visiblement voulu égarer son lecteur à travers le « Pays perdu », entre Vierzon, un Vierzon que l’ouvrier du charron situe « à quinze kilomètres » de Sainte-Agathe et le village ainsi nommé par lui. Dans la réalité, on le sait, celui-ci s’inspire, avec précision, de la commune d’Épineuil-le-Fleuriel qui se trouve l’autre bout du département du Cher, à 112 km plus au Sud. Il faut d’ailleurs attendre le début de la Troisième partie du roman, pour que Jasmin Delouche, remontant de la rive du Cher, en vienne à identifier « un domaine à demi-abandonné aux environs du Vieux-Nançay : le domaine des Sablonnières » ; et c’est pour préciser aussitôt « qu’on avait fait tout abattre ».

La Rencontre du Grand Meaulnes et de Mademoiselle Yvonne de Galais imaginé par Chatgpt ( décembre 2024)

La Rencontre du Grand Meaulnes et de Mademoiselle Yvonne de Galais imaginé par Chatgpt ( décembre 2024)

Est-il cependant possible de localiser aujourd’hui ce « Domaine sans nom » ? Le département du Cher est particulièrement riche en châteaux, somptueux ou modestes, même s’ils sont beaucoup moins célèbres que ceux de la Loire. Il en existe bien d’abord un à Nançay même, le village natal du père d’Alain-Fournier au cœur de la Sologne, datant du début de la Renaissance et reconstruit au XIXe siècle ; mais il suffit de s’y arrêter quelques secondes pour comprendre que cette imposante demeure aux tours de briques n’a rien à voir avec le « Domaine mystérieux », n’en déplaise à certains guides touristiques. C’est encore moins vrai du manoir du Vieux-Nançay tout proche dont Henri évoquait l’image en longeant les parcs des cottages anglais. Aux alentours, ce ne sont pas bien sûr les petits châteaux qui manquent, ni les rendez-vous de chasse perdus dans les bois : l’un de ces domaines a même pris le nom des Meaulnes. Malheureusement l’on ne peut plus guère errer au bord des étangs privés comme celui des Varennes, ni s’engager, comme Augustin Meaulnes, dans une allée de sapins « lourde d’ombrages » : les clôtures y sont devenues trop nombreuses.

Châteaux du Boischaut

Faut-il alors revenir plus près d’Épineuil-le-Fleuriel, le « Sainte-Agathe » du Grand Meaulnes, là où se déroulent au moins vingt-deux des quarante-six chapitres du roman ? À 2 km d’Épineuil, à l’ouest de l’autoroute A 71, sur une butte dominant les routes de Saulzais-le-Potier et de Saint-Vitte, on aperçoit en effet le château de Cornançay, propriété privée entourée de beaux arbres. Il est peu probable que le fils de l’instituteur y ait jamais pénétré ; s‘en est-il même jamais approché ? Pourtant l’idée de la « Fête étrange » vint peut être à Alain-Fournier d’un récit qui lui fut fait jadis par ses camarades de classe : en 1896, le vicomte de Fadate, propriétaire de ce vaste domaine, donna une réception à l’occasion du baptême de sa fille. Il y avait invité ses métayers et journaliers avec leurs enfants : environ deux cents personnes, émerveillées de ce goûter sous la charmille et des fenêtres illuminées de lampions et de bougies dans des verres de couleur. Les élèves de « Monsieur Seurel » durent en parler longtemps à l’école et on en trouve la trace dans le roman. « Toutes ces bâtisses avaient un mystérieux air de fête. Une sorte de reflet coloré flottait dans les chambres basses où l’on avait dû allumer aussi, du côté de la campagne, des lanternes. »

Alain-Fournier eut-il un jour l’occasion de visiter le château de Meillant (XVe siècle), bien éloigné d’Épineuil (à 9 km au nord de Saint-Amand-Montrond) à l’époque des voitures à âne ? Ce château était bien sûr trop raffiné pour avoir inspiré plus tard sa description de la vieille demeure délabrée.

Toutefois, dans la salle des Cerfs, il eut pu lire sur le cénotaphe de François de Rochechouart l’épitaphe suivante :

Cy-git un chevalier courtois
Du souverain sujet fidèle
Et qui toujours sut à la fois
Servir sa patrie et sa belle.

Comment ne pas penser au récit de Jasmin Delouche, racontant « avec cet accent de l’Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec préciosité les autres », sa visite à « la chapelle en ruines » du « domaine des Sablonnières » et décrivant une pierre tombale sur laquelle étaient gravés ces mots :

Ci-gît le chevalier Galois
Fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle.

Châteaux du Haut-Berry

Serait-il alors plus judicieux de revenir au pays natal d’Alain-Fournier, bien qu’il n’y ait vécu que quelques semaines de vacances, surtout chez sa grand-mère maternelle « Maman-Barthe ». Regagnons donc La Chapelle-d’Angillon, au nord du Cher. À la sortie nord du village, un faubourg porte le nom des Sablonnières, sans qu’on y puisse trouver toutefois le moindre « Domaine mystérieux ». En revanche, en pleine ville, le grand château médiéval des princes de Boisbelle « dressé de toute sa façade » avec son donjon du XIe siècle, acquis et restauré par Sully vers 1605, avait fière allure aux yeux du petit garçon qui arrivait chez ses grands parents par le train venant de Bourges, comme il l’écrivait à Jacques Rivière : « Au moment du château, maman nous disait : « regarde-moi, chéri » et avec son mouchoir, elle nous enlevait à la figure un peu de la poussière noire du train ». Le plan d’eau, créé bien plus tard à ses pieds par un barrage sur la Petite Sauldre, a malheureusement dissipé son aspect romantique qu’avait si bien su saisir le graveur Berthold Mahn en 1938. Et le poussiéreux « Musée Alain-Fournier », relégué dans le donjon, risque de décevoir bien des visiteurs.

Le château voisin d’Ivoy-le Pré, sans parler de ceux construits par les Stuart à La Verrerie et à Aubigny-sur-Nère, ou plus loin dans le « Pays Fort » ceux de Boucard, de Buranlure, de Blancafort, de Maupas et de Menetou-Salon, ont probablement, eux aussi, marqué l’imagination du jeune Henri. Mais Alain-Fournier ne s’est jamais comporté en touriste collectionneur de monuments, toujours plus « sûr de se retrouver avec (s)a jeunesse et (s)a vie, à la barrière au coin d’un champ – où l’on attelle deux chevaux à une herse… » . Au cours des longues randonnées cyclistes qu’il faisait à travers le Haut-Berry, peut-être découvrit-il un jour, grâce aux récits de « Maman-Barthe », le château de La Vallée, près d’Assigny, demeure de « l’Angliche » qui fut un moment le « galant »de « l’Adeline » ? Ce château « aux ailes inégales », entouré de douves et de vastes communs n’est pas sans évoquer « le Domaine sans nom ». Sous la Régence, la jeune châtelaine Marie-Antoinette de Canterenne s’y serait vue abandonnée, le soir même de ses noces avec le marquis de Masparault, « grand seigneur fort débauché » – qui fut appelé en plein bal par un mystérieux inconnu et disparut, peut-être victime d’un meurtre qui ne fut jamais élucidé. Cette légende aurait-elle inspiré l’épisode du départ de Meaulnes, au lendemain de son mariage ?

« Ferme, château ou abbaye »

Un autre souvenir d’enfance semble avoir été beaucoup plus marquant encore, bien qu’Alain-Fournier n’en ait jamais parlé lui-même : celui d’une promenade en voiture à âne avec ses parents et sa sœur dans la « Forêt du Gouvernement », c’est-à dire celle de Saint-Palais ; ils avaient découvert ce jour-là l’ancienne abbaye cistercienne de Loroy , à 6 km au Sud de La Chapelle-d’Angillon, par la route qui va à Méry-ès-Bois (D 168). À côté des ruines de l’église abbatiale, la « longue maison châtelaine » au bord d’un étang envahi de roseaux, était déjà bien délabrée à l’époque ; pourtant il est probable qu’elle a été, plus qu’aucun autre château du Cher, la source d’inspiration du « Domaine mystérieux ». Aujourd’hui Augustin Meaulnes se désolerait encore davantage de l’état d’abandon de « la vieille demeure si étrange et si compliquée », livrée naguère aux cambrioleurs et aux vagabonds. De temps à autre, la presse locale se fait l’écho de projets de restauration qui jamais ne voient le jour. Y aura-t-il un jour à nouveau « une fête dans cette solitude », comme ce fut le cas en 1966, lors du tournage du film de Jean-Gabriel Albicocco ?

En savoir plus :

Résumé du roman Le Grand Meaulnes

Biographie d’Alain-Fournier