Alain n’est pas le prénom de l’auteur du Grand Meaulnes : il s’appelait Henri Alban Fournier. Ce n’est qu’en décembre 1907 qu’il choisit ce demi-pseudonyme littéraire, en faisant paraître dans La Grande Revue un article intitulé « Le corps de la femme », pour se distinguer d’un célèbre coureur automobile de l’époque.
1. L’enfance et l’adolescence (1886-1904)
Henri Fournier est né le 3 octobre 1886 à la Chapelle-d’Angillon, au nord du département du Cher, dans la petite maison de ses grands-parents maternels. Fils d’instituteurs, il passe son enfance en Berry. Après cinq années passées à Marçais, près de Saint-Amand-Monrond, il suit son père, nommé en 1891 directeur de l’école d’Epineuil-le-Fleuriel, le dernier village au sud du département, non loin de Montluçon.
L’enfant y sera son élève jusqu’en 1898, avant d’entrer en sixième, comme pensionnaire au lycée Voltaire à Paris, où il restera trois ans.
Photo prise par Alain-Fournier en 1902
Depuis le grenier de l’Ecole d’Epineuil.
Au centre : Madame Fournier, Isabelle et la bonne
En 1901, songeant à devenir ma rin, il rentre en seconde au lycée de Brest pour préparer l’Ecole Navale. Mais il y renonce au bout d’un an et vient, en janvier 1903, passer son baccalauréat au lycée de Bourges.
En octobre 1903, Henri Fournier va préparer l’Ecole normale supérieure au lycée Lakanal à Sceaux. C’est là qu’il rencontre Jacques Rivière, jeune bourgeois bordelais qui devient bientôt son meilleur ami.
A partir de 1905, ils échangeront jusqu’en 1914 une importante et passionnante correspondance. Jacques deviendra, en 1909, son beau-frère en épousant Isabelle Fournier, de trois ans plus jeune que son frère.
Alain-Fournier, à la Chapelle d’Angillon, en 1905.
Alain-Fournier a alors près de 19 ans.
2. La rencontre et les premiers écrits (1905-1909)
Le 1er juin 1905, jour de l’Ascension, Henri Fournier, étudiant au lycée Lakanal, vient de visiter le « Salon de la Nationale » au Grand Palais. En descendant l’escalier de pierre, son regard croise celui d’une jeune fille blonde, élégante, élancée, une vieille dame appuyée à son bras. Il la suit jusqu’au Cours-la-Reine, puis sur un bateau où elle s’embarque ; il la suit à distance jusqu’à sa maison du boulevard Saint-Germain. Il revient plusieurs fois sous ses fenêtres les jours suivants.
Un soir, il aperçoit derrière la vitre le visage de la jeune fille, souriant de le retrouver là.
Le lendemain matin, dimanche de la Pentecôte, il revient en uniforme de collégien, et la jeune fille sort de cette maison, vêtue d’un grand manteau marron. Avant qu’elle prenne le tramway, il l’accoste et murmure : « Vous êtes belle ». Elle hâte le pas, il monte derrière elle jusqu’à l’église Saint-Germain-des-Prés. A la sortie de la messe, il ose l’aborder à nouveau et c’est « la grande, belle, étrange et mystérieuse conversation » entre ces deux jeunes êtres qui, jusqu’au pont des Invalides vont laisser vivre leur rêve ; elle lui demande son nom, qu’il lui dit. Elle hésite une seconde , puis « le regardant bien droit, pleine de noblesse et de confiance elle dit fièrement : Mon nom ? je suis mademoiselle Yvonne de Quiévrecourt. »
Mais elle répète : « A quoi bon ? à quoi bon ? », frémissante comme une hirondelle qui déjà tremble du désir de reprendre son vol ; elle lui défend de la suivre. Il la regarde s’en aller ; elle se retourne vers lui qu’elle vient de quitter et, une dernière fois, elle le regarde longuement.
Cette rencontre, dont il a noté tous les détails, dès les jours suivants, va déterminer la vie entière du futur écrivain. Il la transposera presque littéralement dans Le Grand Meaulnes. Pendant huit ans, l’auteur s’efforcera de raconter son histoire en l’associant à ses plus chers souvenirs d’enfance.
En mai 1906, le jour anniversaire de leur rencontre, Alain-Fournier guette vainement la jeune fille et confie le soir même à Jacques Rivière : « Elle n’est pas venue. D’ailleurs fut-elle venue, qu’elle n’aurait pas été la même ». Cette année-là, il échoue au concours d’entrée à l’Ecole Normale.
Yvonne de Quiévrecourt en 1908
En juillet 1907, au terme d’une ultime année préparatoire au lycée Louis-Le-Grand, il échoue de nouveau à l’Ecole Normale. Le lendemain, il apprend qu’Yvonne de Quiévrecourt est mariée depuis près d’un an. Il va passer une quinzaine de jours de vacances à Cenon dans la famille de son ami Jacques, qu’il reçoit ensuite chez ses parents à La Chapelle d’Angillon.
A partir d’octobre 1907 et jusqu’en septembre 1909, il fait son service militaire, d’abord à Vincennes et à Paris : après le peloton d’élève-officier à Laval, il est nommé sous-lieutenant à Mirande (Gers). Toujours hanté par le souvenir d’Yvonne, il écrit quelques poèmes, contes et nouvelles qui seront publiés après sa mort par jacques et Isabelle Rivière sous le titre Miracles.
3. Genèse d‘un roman (1910 -1913)
Après son service militaire, Alain-Fournier cherche un emploi, il trouve en avril 1910 un poste de rédacteur à Paris-Journal. Il rencontre Jeanne Bruneau, une jeune modiste, originaire de Bourges. Il se donne d’abord tout entier à elle, mais elle ne le comprend pas. Le 19 octobre 1910, il écrit à Jacques et sa sœur : « C’est fini ». Ils se reverront pourtant et la rupture définitive ne se produira qu’au mois d’avril 1912. Alain-Fournier confiera dans sa correspondance : « J’ai fait tout cela pour me prouver à moi-même que je n’avais pas trouvé l’amour. »
A partir de 1910, Alain-Fournier, installé rue Cassini, se met pour de bon à l’écriture du Grand Meaulnes. En 1912, il quitte la rédaction de Paris-Journal, devient le secrétaire de Claude Casimir-Perier avant d’entamer avec la femme de ce dernier, la célèbre actrice « Madame Simone », de son vrai nom Pauline Benda, une liaison passionnée.
Pendant l’été de 1913, huit ans après la rencontre du Grand Palais, Alain-Fournier revoit une dernière fois à Rochefort Yvonne Brochet, désormais mère de deux enfants. Après lui avoir remis une lettre écrite un an plus tôt, il la quitte pour toujours et revient vers Simone.
Achevé au début de 1913, Le Grand Meaulnes paraît d’abord dans La Nouvelle Revue Française (de juillet à novembre 1913), puis en volume chez Emile-Paul. Sélectionné pour le prix Goncourt, le roman obtient 5 voix au dixième tour de scrutin. Pourtant au onzième tour, c’est Le Peuple de la Mer de Marc Elder qui sera couronné. La presse est cependant très élogieuse.
4. La guerre, la mort (1914)
Au début de 1914, Alain-Fournier ébauche une pièce de théâtre, La Maison dans la forêt, et commence un nouveau roman, Colombe Blanchet, qui restera inachevé.
Mobilisé dès la déclaration de guerre, le 1er août 1914, Alain Fournier, alors en vacances à Cambo-les-Bains avec Simone, rejoint Mirande, puis le front de Lorraine comme lieutenant d’infanterie, le 23 août ; il participe à trois batailles très meurtrières autour de Verdun. Fin septembre, il est porté disparu, au cours d’un combat dans le bois de Saint-Remy, sur la crête des Hauts-de-Meuse. On saura plus tard qu’il a été tué ainsi que son capitaine et plusieurs autres hommes de son régiment, dans l’après-midi du 22 septembre. Il n’avait pas encore vingt-huit ans.
Le Lieutenant Fournier en 1913 aux manœuvres de Caylus
Ses restes n’ont été découverts qu’en mai 1991 dans une fosse commune où les Allemands l’avaient enterré avec vingt de ses compagnons d’armes. Identifié six mois plus tard, son corps est maintenant inhumé avec ceux de ses compagnons d’armes dans le cimetière militaire de Saint-Remy-la-Calonne (Meuse).