Comme la plupart des grandes œuvres littéraires, Le Grand Meaulnes et ses personnages ont suscité depuis près d’un siècle les interprétations et les critiques les plus diverses, fondées sur des critères biographiques, psychologiques ou structuralistes : nous nous contenterons de citer ici deux approches plus récentes.
Lectures psychanalytiques
Il ne semble pas qu’Alain-Fournier ait jamais lu Freud, ni même qu’il en ait entendu parler, à la différence son beau-frère, Jacques Rivière, qui se passionna dès 1922 pour les thèses de la psychanalyse. Pourtant plusieurs critiques ont tenté des lectures psychanalytiques du Grand Meaulnes, ou de certains thèmes du roman.
Jean Gassin, professeur émérite à l’Université de Melbourne, a écrit deux articles très novateurs et très argumentés sur les fantasmes qu’il a pu déceler chez l’auteur : en 1983, « Une hypothèse sur la genèse du Grand Meaulnes » à propos du possible traumatisme provoqué par la naissance de sa sœur Isabelle, et en 1988, « Le Grand Meaulnes comme roman familial » sur l’attitude ambiguë de François Seurel devant le mariage de Meaulnes et d’Yvonne de Galais.
En 1992, Alain Buisine a publié un petit livre aussi contesté qu’intéressant, Les mauvaises pensées du Grand Meaulnes, où il dénonçait de manière un peu provocante, mais non sans perspicacité, la superficialité d’une lecture trop idéalisée, voire angélique du roman.
Quant à André Agard, il s’est attaqué en 2008 à une étude psychanalytique de la biographie de l’auteur et de ses écrits, avec La nécessité du chagrin d’amour : Alain-Fournier ou l’invention de l’adolescence.
Libre à chacun d’entrer ou non dans ce type de recherche : on ne peut du moins les ignorer.
Lecture sémiotique
L’analyse sémiotique d’un texte littéraire s’appuie sur une distinction entre ce que l’on peut appeler « la littéralité du texte » (les mots récurrents, les différents registres sur lesquels se déploie le récit, les figures, etc.) et la logique sous-jacente repérable par les écarts que les répétitions et les transformations manifestées à la surface du texte permettent d’identifier. Le lecteur-chercheur s’exerce ainsi à l’analyse des différences à tous les niveaux observables, que cette recherche soit inspirée par le tissage des termes employés ou par la connaissance des modèles mis en forme par Algirdas Julien Greimas et son école. L’objectif de la recherche sémiotique est à l’image de ce que le marcheur, sur une route de montagne, découvre à chaque tournant du chemin dans la transformation du paysage.
Agnès Gueuret a ainsi proposé en 2007 dans le Bulletin des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier (n° 118) une lecture sémiotique assez convaincante du premier chapitre et de l’épilogue du Grand Meaulnes, qui ne demanderait qu’à être poursuivie.