Attention : ce qui suit dévoile tout ou partie du film !!!
- L’amitié dans Le Grand Meaulnes
- L’amour dans Le Grand Meaulnes
- Le Roman d’aventures
- Du merveilleux du livre au réalisme du film
- Du livre à l’écran
Analyse de 4 scènes du film
1) Entre Frantz et Meaulnes, une promesse fraternelle
2) Au-delà de l’amour, un idéal romantique
3) Respecter son serment
4) Un si beau mariage
L’amitié
Dans le Grand Meaulnes, l’amitié est une affaire de garçons et semble un jeu d’enfants. À peine suffit-il que Meaulnes surgisse dans la vie de François pour que se scelle entre eux une amitié sans faille d’une fidélité à toute épreuve. L’amitié ne se limite pas à un simple sentiment d’affection et d’empathie envers l’autre. Elle est une force merveilleuse qui fait de chaque ami un frère, le pousse vers l’amour et l’engage à poursuivre ses rêves d’enfant.
Pour Alain-Fournier, avoir un ami, c’est se découvrir un frère tant l’amitié relève d’un engagement total et sans retour. Tout au long du roman, Meaulnes assume le rôle du grand frère que ce soit auprès de François dont il est le guide et qu’il initie à la vie adulte ou auprès de Frantz qu’il épaule pour retrouver Valentine. Cette fraternité se traduit par une parfaite communion d’esprit et d’intérêt dans laquelle chaque ami va totalement s’identifier à l’autre. Un ami est, avant tout, un double qui n’hésite pas à se sacrifier pour que l’autre accède à l’amour.
L’amitié amoureuse
Dans l’univers du Grand Meaulnes, sans l’amitié fraternelle, l’amour n’est qu’un échec, un sentiment trop puissant et obscur qui dépasse et désespère celui qui l’éprouve. L’aide de l’ami s’avère nécessaire à la réalisation de l’amour car lui seul est capable de mener la relation amoureuse jusqu’au bout. Ainsi, François retrouve Yvonne de Galais que Meaulnes finit par épouser et la veille jusqu’à sa mort alors que son époux a disparu. Ainsi, Meaulnes apaise les tourments de Frantz en lui ramenant Valentine. Toutefois, même si elle demeure la condition de l’amour, l’amitié se meut à terme en un sentiment confus. L’ami, qui veut aider son camarade à concrétiser sa relation amoureuse, s’éprend à son tour de la jeune femme qu’il s’est chargé de retrouver. Meaulnes se lie à Valentine et François aime confusément Yvonne. Mais malgré cette cruelle métamorphose, la relation amicale ne départit jamais du sens du devoir qui prend toujours le dessus. L’ami renonce à l’amour pour que son frère, son jumeau accède à son rêve d’enfant.
L’amitié comme poursuite de l’enfance
Pour Alain-Fournier, être ami, c’est permettre à l’autre de poursuivre symboliquement sa propre enfance en défiant la réalité du monde adulte. Frantz, personnage fantasque qui vit dans ses illusions, profite de son amitié avec Meaulnes pour retrouver Valentine et un bonheur d’enfant. François ne désespère jamais de retrouver le domaine mystérieux de la fête étrange où Meaulnes a rencontré Yvonne de Galais, son premier amour, même lorsque celui-ci paraît y avoir renoncé. En définitive, dans le Grand Meaulnes, l’amitié constitue une étape nécessaire dans la constitution de la personnalité des protagonistes et permet de donner à chacun une liberté sans limites.
Analyse d’une scène
Entre Frantz et Meaulnes, une promesse fraternelle
La scène prend place lors de la fête étrange juste après que Frantz abandonné par Valentine a tenté de se suicider et que Meaulnes l’en a empêché. Pour apaiser Frantz, Meaulnes entame alors la lecture de la lettre de rupture de la jeune femme.
La séquence repose sur le serment d’amitié final qui fait de Meaulnes et de Frantz deux frères et par lequel Meaulnes devient l’adjuvant de Frantz. L’ensemble des plans suggère cette fraternité et cet échange de rôles comme s’il s’agissait d’une scène d’amour. En effet, pause chargée d’approfondir la connaissance des personnages, cette scène introspective se construit sur une série de gros plans alternés de Frantz puis de Meaulnes qui, par leur importance égale, souligne leur gémellité sinon leur ressemblance. Car, paradoxalement, ces gros plans ne sont jamais individuels. Les deux garçons sont ainsi à chaque fois tous les deux présents à l’écran dans la mesure où Jean-Daniel Verhaeghe joue sur la mise au point du premier plan et de l’arrière-plan laissant Meaulnes et Frantz tantôt nets, tantôt flous. Le réalisateur suggère ici qu’en occupant successivement la place de l’un et de l’autre, les deux personnages sont de véritables doubles. Le gros plan final sur la poignée de mains entre les deux garçons achève de sceller cette nouvelle union devenue plus forte que tout mariage : Frantz perd momentanément un amour mais gagne un ami pour la vie.
L’amour
Dans le Grand Meaulnes, l’amour va toujours de paire avec l’amitié tant les amis sont un relais vers l’amour et permettent son accomplissement. De Meaulnes à Frantz en passant par François, le sentiment amoureux est cependant synonyme d’un bonheur illusoire, toujours trop bref, qui suscite chez les héros des regrets infinis. Contrariée au quotidien, la passion amoureuse ne constitue qu’un idéal appelé à le demeurer.
Un idéal romantique
L’amour s’affirme comme un idéal qui guide le destin des protagonistes par sa force quasi-surnaturelle. Élément essentiel de la dimension merveilleuse à l’œuvre dans le récit, l’amour que recherche Meaulnes trouve son incarnation en Yvonne de Galais. Véritable nymphe des bois, elle est la jeune fille de ses rêves, celle avec laquelle le bonheur et la fuite hors du quotidien lui semblent possibles.
Sentimental et idéalisé, cet amour exclusif et absolu reflète une vision romantique. Meaulnes ne vit que pour Yvonne comme Frantz pour Valentine. Mais comme toute passion sans limite, l’amour engendre aussi la douleur.
Un sentiment douloureux et impossible
Sans cesse menacé par la réalité, l’amour, inaccessible, contraint les héros à s’engager dans une inexorable fuite en avant à la recherche de l’être aimé. Mais leur quête vaine, émaillée par l’écoulement du temps et l’épreuve de la mort, ne débouche que sur la souffrance. Loin d’être sécurisant, l’amour, qui jette les personnages dans la peine, ne conduit qu’au désenchantement et à la désillusion. L’expérience amoureuse permet toutefois une prise de conscience de la fin des rêves d’enfant et constitue conjointement un rite de passage obligatoire vers la maturité et la vie adulte.
Ainsi, le Grand Meaulnes propose une vision paradoxale de l’amour dans laquelle, abandonnés et errants, les protagonistes perdent l’être aimé dans la mort mais gagnent un ami pour la vie.
Analyse d’une scène
Au-delà de l’amour, un idéal romantique
La scène prend place au moment où, après ses premières retrouvailles avec Yvonne de Galais, Meaulnes repart subitement. Mais alors qu’il était déjà engagé sur la route, Yvonne lui avoue en criant qu’elle ne l’oubliera jamais : il revient pour l’étreindre et l’embrasser. Leur union semble scellée.
Ce tableau illustre la perpétuelle hésitation de Meaulnes entre, d’une part, son amour idéalisé pour Yvonne de Galais qui l’invite à rester, et, d’autre part, sa fidèle amitié à Frantz qui l’oblige à partir pour honorer sa parole donnée à un ami. De fait, la caméra de Jean-Daniel Verhaeghe va souligner ces allers et retours. Censée être une scène d’amour, la séquence se fonde en fait sur d’amples mouvements de caméra dignes d’un plan d’action. La rencontre, filmée comme une scène de fuite, montre combien Meaulnes ne tient pas en place.
Ainsi, même présent, Meaulnes semble se dérober et demeure énigmatique, ce que la mise en scène de Jean-Daniel Verhaeghe souligne à nouveau par l’utilisation du champ et du contrechamp. Plans propres à toute scène de dialogue amoureux, ces deux procédés techniques s’articulent ordinairement sur une alternance entre le visage de l’une et le visage de l’autre.
Or Jean-Daniel Verhaeghe choisit de ne montrer aucun contrechamp de Meaulnes et se concentre sur un plan fixe et unique d’Yvonne vue de face durant toute leur scène d’étreinte. Filmé de dos en permanence, Meaulnes apparaît comme quelqu’un qui déjà s’éloigne et que l’on regarde partir.
Le Roman d’aventures
Écrit sous l’influence du roman anglais et notamment de Robert Louis Stevenson, auteur de L’Île Au Trésor, le Grand Meaulnes est considéré par Alain-Fournier comme « un roman d’aventures et de découvertes » au cours duquel ses protagonistes doivent faire face à de nombreuses péripéties. Héros à la dimension chevaleresque, Meaulnes est un aventurier qui, pour accéder au bonheur, ne craint ni d’affronter la loi des adultes ni de poursuivre ses rêves d’enfant.
Un aventurier épris d’idéal
Intrépide et téméraire à la différence de ses paisibles camarades paysans, Augustin Meaulnes éprouve un constant besoin d’évasion qui le pousse sans cesse à partir à l’aventure. Héros picaresque qui refuse la réalité avec fougue, Meaulnes est engagé dans une quête au, terme de laquelle il tente de trouver le bonheur et le rêve.
L’apprentissage de la vie
Comme dans tout roman d’aventures mettant en scène de jeunes gens, les épisodes du Grand Meaulnes racontent symboliquement le passage de l’enfance à l’âge adulte. Initiation aux tourments de la vie, le récit se fonde sur la progressive maturation de ses héros car chaque péripétie est l’occasion d’une découverte. Ainsi, la défection de Valentine refusant d’épouser Frantz, montre à Meaulnes combien tout rêve est fragile. le Grand Meaulnes est le roman d’une métamorphose douloureuse qui ne fait que renforcer le héros dans ses aspirations. Quel autre sens donner à cette dernière image de Meaulnes qui découvre l’existence de sa fille élevée par François et qui « part avec elle pour de nouvelles aventures » ? C’est une image d’espérance qui évoque Pelléas et Mélisande.
Guidé par cette soif d’idéal, le jeune aventurier devient, comme chez Stevenson, l’acteur principal d’une chasse dont Yvonne de Galais est le trésor. L’ayant aperçu une fois brièvement, Meaulnes part à la recherche du domaine mystérieux des Sablonnières, comme un explorateur en quête de son île au trésor. Mais ces aventures ne sont pas de simples péripéties, elles constituent autant d’étapes d’un récit d’apprentissage.
Analyse d’une scène
Respecter son serment
La scène prend place alors que Meaulnes vient d’accomplir sa promesse de ramener Valentine auprès de Frantz. Mais au moment où les retrouvailles doivent avoir lieu, Frantz, aviateur, s’apprête à risquer sa vie en s’envolant dans un nouveau prototype. Meaulnes est empêché d’approcher de son ami par des soldats et ce n’est qu’à la fin de son vol que Frantz retrouvera Valentine. Meaulnes, quant à lui, sera arrêté et emmené par les soldats.
Présentant le caractère frondeur et téméraire de Meaulnes et de Frantz, cette séquence ouvre sur une scène d’action qui repose sur un montage traduisant le mouvement des personnages.
Rapide, le montage épouse la vitesse de l’action : d’une part, le choix de plans brefs souligne la confusion autour de l’altercation de Meaulnes avec les forces de l’ordre et, d’autre part, l’alternance de plans courts entre Meaulnes et l’avion de Frantz qui décolle permet de mettre l’accent sur la dimension épique de la scène.
Cette scène d’action, qui est le fruit du travail d’adaptation du réalisateur et du scénariste, est totalement absente du livre. Elle se fonde sur la mise en relief de la figure romantique de Frantz comme aviateur.
Mais, plus largement, cette séquence ajoutée illustre les moyens utilisés par Jean-Daniel Verhaeghe pour élaborer chaque séquence d’aventure et d’action. Comme dans la scène où il prend la fuite en carriole, Meaulnes est présenté comme un conquérant de l’impossible qui bute immanquablement sur l’horrible réalité, ici symboliquement incarnée par l’armée et ses soldats qui l’entravent.
Une telle interprétation culmine lorsque, devenu soldat, le jeune homme ne peut que succomber face à cette impitoyable réalité.
Du merveilleux du livre au réalisme du film
Récit poétique, le Grand Meaulnes cultive un goût marqué pour le merveilleux et les situations où les héros paraissent sous le coup d’un enchantement. Mais les protagonistes sont mis à rude à épreuve par la confrontation de leurs idéaux aux dures réalités de la morne vie paysanne. le Grand Meaulnes tend vers une écriture réaliste qui illustre l’échec de ces idéaux. En adoptant un parti pris réaliste, le film de Jean-Daniel Verhaeghe met l’accent sur la vacuité de cette quête d’idéal.
Un roman merveilleux ?
« Je n’aime la merveille que lorsqu’elle est étroitement insérée dans la réalité. » Par cette déclaration, Alain-Fournier inscrit son roman dans la sphère du merveilleux et revendique son ancrage dans la réalité. L’acharnement des protagonistes à poursuivre leurs rêves chimériques en dépit des désillusions qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne sont les preuves manifestes que l’univers romanesque d’Alain-Fournier résiste à tout enfermement dans l’une ou l’autre catégorie.
Un film réaliste
Le film de Jean-Daniel Verhaeghe choisit d’évacuer le merveilleux du roman d’Alain-Fournier afin d’en proposer une nouvelle lecture où est soulignée la dure loi de la réalité et la dimension d’échec déjà présente dans le roman. Le réalisateur inscrit son film dans un cadre historique précis. L’action prend place à la veille de la Première Guerre mondiale avec des renvois multiples à cette période trouble ponctuée par la présence de soldats et par la mort du héros devenu soldat à la fin du film. Cette ultime référence à la biographie d’Alain-Fournier, car c’est lui et non Meaulnes qui meurt au champ d’honneur au début de la guerre 1914-1918, vient confirmer combien le réel et son corollaire, la mort, ont raison de ceux qui rêvent à un autre monde.
Analyse d’une scène
Un si beau mariage
Parvenu au cœur du domaine des Sablonnières, Meaulnes devient le spectateur émerveillé d’une fête féerique inattendue donnée à l’occasion du mariage du fils de la famille, Frantz. Il y fait la rencontre d’une princesse féérique : Yvonne de Galais qui entame une danse avec des enfants déguisés à la manière du XVIIIe siècle. C’est le coup de foudre.
Composée comme un tableau de Watteau, la séquence est une scène de rencontre amoureuse entre les deux personnages principaux du film mais propose une utilisation particulière des jeux de regards.
Élément fondamental de toute énamoration, le regard de Meaulnes est souligné par un plan fixe, de longueur moyenne, indiquant que le personnage est bouleversé. Les plans concernant Yvonne de Galais ne sont pas symétriques car la jeune femme n’échange aucun regard avec le garçon.
Admiratif et silencieux, Meaulnes poursuit son observation, ce que souligne la caméra de Jean-Daniel Verhaeghe qui le place sous le coup d’un « charme » au sens étymologique, c’est-à-dire un sortilège jeté par une fée. Yvonne échange cependant des regards avec l’enfant avec lequel elle danse. Et si Meaulnes s’identifie à lui, c’est parce que la présence de ce petit laquais illustre pour lui l’image du bonheur associé à Yvonne de Galais.
La jeune fille représentant pour le jeune Meaulnes un rêve d’enfant, son but sera d’obtenir un regard d’elle, même s’il doit sacrifier sa vie adulte et redevenir enfant.
Du livre à l’écran
Fidélité ou re-création
Adapter un roman au cinéma consiste toujours à proposer une lecture qui, échappant à l’impossible exhaustivité, livre la vision et l’interprétation personnelles du cinéaste. Porter à l’écran un livre tel que le Grand Meaulnes ne va pas, de l’aveu du scénariste Jean Cosmos, sans difficultés car sa dimension merveilleuse met différemment en œuvre l’imagination de chacun. Or, loin de cette perspective onirique, le réalisateur Jean-Daniel Verhaeghe propose une lecture réaliste de ce roman poétique, ce qui le contraint à des choix esthétiques oscillant entre suppressions et ajouts de scènes et de personnages.
Une lecture réaliste
L’adaptation que Jean-Daniel Verhaeghe livre du Grand Meaulnes évacue la dimension féerique présente dans le roman et l’inscrit dans un cadre champêtre. Multipliant les prises extérieures dans des plans évoquant des tableaux du courant impressionniste, la caméra se concentre sur l’inscription des personnages dans une réalité sociale qui dénote un minutieux souci de reconstitution, comme le montre la cérémonie de remise des certificats d’étude.
Ce réalisme s’accompagne de la suppression d’épisodes du roman ancrés dans le merveilleux. Ainsi les personnages de Ganache et du bohémien associés à Frantz ne figurent pas dans le film alors que leur rôle énigmatique prédomine dans la seconde partie du livre. Leur présence devient inutile dans le film car le caractère fantasque de Frantz, devenu aviateur, n’est plus associé au fantastique. Ces modifications viennent à la fois accentuer la focalisation de l’intrigue sur l’idylle entre Yvonne et Meaulnes et sur le parti pris historique du réalisateur.
Une adaptation historique et biographique
Hors de toute logique onirique, l’adaptation du Grand Meaulnes s’inscrit dans un cadre historique que la date notée par Monsieur Seurel, l’instituteur, au tableau dès les premiers plans indique précisément : l’action démarre à la veille de la première guerre mondiale. Dès lors, l’intrigue sera ponctuée de détails visuels ou d’allusions à la présence des soldats et à la guerre.
Totalement absente du roman d’Alain-Fournier, cette dimension historique rejoint une volonté du réalisateur de faire coïncider le personnage de Meaulnes fortement inspiré de la biographie d’Alain-Fournier. De fait, la mort du soldat Meaulnes parti au front, événement qui ne figure pas dans le livre, renvoie à la mort de son auteur, tué dès le début des combats en 1914. La lecture biographique du Grand Meaulnes permet à Jean-Daniel Verhaeghe d’accentuer le tragique du personnage de Meaulnes.
Au Pays d’Alain-Fournier et du Grand Meaulnes
le Grand Meaulnes est une œuvre dans laquelle la géographie joue un rôle primordial. Plus qu’un simple décor, elle reflète métaphoriquement les désirs des personnages dont elle incarne à la fois l’enlisement terrestre et l’envie d’évasion. L’espace se répartit en deux catégories de lieux : un espace réaliste et précis d’une part et d’autre part un monde de rêve et d’idéal. Alain-Fournier lui-même écrit à Jacques Rivière : « Mon livre sera un perpétuel va-et-vient entre le rêve et la réalité. »
Des lieux réels
Le roman d’Alain-Fournier s’inscrit d’emblée dans un cadre réel qui renvoie à des lieux existants et bien connus de l’auteur. Campée sur les bords du Cher, l’action se situe dans le sud du département, dans les paysages bourbonnais d’Epineuil-le-Fleuriel, en Sologne et à Paris, et s’engage par sa précision et son souci du détail dans une reconstruction réaliste.
De fait, le Grand Meaulnes est un roman de la vie paysanne et du monde rural de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L’école de Sainte-Agathe où enseigne le père de François en est le lieu le plus représentatif. Pittoresque, elle symbolise pour Meaulnes la réalité quotidienne et l’ordre qui y préside.
L’univers champêtre entre en concurrence tout au long du récit avec un monde plus mystérieux qui se dérobe au quotidien, déborde de la simple réalité et transfigure le cadre strictement réaliste. le Grand Meaulnes est ainsi habité par une géographie du rêve qui ouvre sur un espace digne d’un conte de fées, où prédominent le fantastique et la beauté à l’état pur.
Le domaine des Sablonnières est la matérialisation d’un tel univers onirique. Théâtre d’une fête féerique, le château qu’il abrite évoque les romans de chevalerie, échappe à toute caractérisation réaliste et s’impose comme un monde à part. Île au trésor et jardin d’Eden à la fois, les Sablonnières représentent cet ailleurs poétique auquel aspire Meaulnes.
Mais aussitôt aperçu, cet univers de rêve reste une apparition fugitive qui s’estompe à l’instar des aspirations qu’il suscite, face au prosaïsme du monde paysan. Ainsi, même lorsque Meaulnes retrouvera la bâtisse réduite à l’état de ruine, le domaine n’aura plus rien d’onirique.
La géographie du Grand Meaulnes s’avère une carte métaphorique de la vie où l’enfance merveilleuse est engloutie par le réalisme des adultes.